Quitter son travail, bizarrement, pose moins de problème lorsqu’on s’y sent bien que lorsqu’on en souffre. Peut-être est-ce lié à l’absence de projet ou peut-être à l’état physique et psychique dans lequel on se trouve ou peut-être encore à l’état des relations que l’on entretient avec ceux que l’on va devoir affronter lors du départ. C’est sûrement un peu de tout ça à la fois. Pourtant, c’est bien quand les choses vont mal que l’on a besoin de toutes nos forces pour quitter son entreprise dans les meilleures conditions possibles. Alors comment faire face ? J’en ai discuté avec Violaine Capet, avocate en reconversion, qui a vécu ce paradoxe de l’intérieur.

Entrer dans le monde du travail : quitter le fantasme pour la réalité

Bonjour Violaine et merci de témoigner pour Cap Cohérence. Vous avez eu un parcours riche et intense me semble-t-il, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre première partie de carrière ?

Bonjour Annabelle. Oui…

Depuis toute petite, je suis habitée par le désir de participer à un effort qui me dépasse, un projet qui m’inspire autant qu’il donne du sens à notre humanité, et donc à ma vie.

Enfant, puis jeune adulte, je rêvais à la mission, à l’aventure qui serait la mienne à l’issue d’études qui devaient nourrir ma vocation et me propulser depuis mon siège de spectateur sur l’écran géant d’une salle de cinéma dans le rôle d’une résistante habile dans l’art de faire sauter les trains de notre monde moderne.

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Ce moment est arrivé.

Je me suis engagée avec élan auprès d’un Député, d’un Maire, d’un Ministre, de magistrats du siège et du Parquet, puis auprès du Président d’une mutuelle et puis en qualité d’avocate à divers postes d’une entreprise.

A chaque fois, je me suis acharnée à trouver ma place, imaginer et proposer mon utilité, ma créativité, ma vision.

Pour faire court, le schéma était souvent le même : mon élan premier était plein d’espoir et la réalité de la mission parfois réduite à sa plus simple expression, me poussant à quitter mon travail pour un autre.

Quitter son travail ou renoncer à Soi

Je crois savoir que ce schéma vous a conduit à vivre une période particulièrement difficile sur le plan professionnel, pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui s'est passé pour vous avant votre dernier départ ?

La période qui a précédé ma décision de quitter mon travail n’a ni été simple, ni linéaire.

Progressivement, la confusion des moyens et des fins, les jeux de pouvoirs, la suprématie des codes sociaux de l’entreprise sur les compétences avérées des salariés, les contradictions constantes et croissantes entre des valeurs revendiquées et leur concrète mise en œuvre, l’incapacité des dirigeants à s’interroger sur le sens profond donné à l’action individuelle ou collective m’ont fait vaciller.

J’avais travaillé sur moi et j’avais appris que je faisais partie des personnes qui avaient le cerveau droit plus développé que le gauche. J’ai su dès lors que ma capacité à me poser des questions existentielles pour répondre à ma quête de sens faisait partie de moi et j’ai travaillé sur moi pour modifier mon angle de vue, accepter l’imperfection quotidienne, mesurer les contingences sans toujours les critiquer. Mais loin de me sentir mieux, j’avais l’impression d’un renoncement qui entamait mon moral.

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J’entretenais donc encore l’espoir d’un changement qui viendrait de l’extérieur, une formation, une nouvelle direction, un nouvel organigramme, une nouvelle DRH, un nouveau poste sans avoir besoin de quitter mon travail. Tout cela est arrivé, dans cet ordre. Mais il était trop tard. Je n’avais plus la foi.

Le peu de sens que je trouvais dans l’accomplissement de mes tâches quotidiennes, l’absence d’objectif, de créativité, de pensée dont j’avais terriblement besoin m’ont progressivement mais définitivement menée à un brown out.

Quelque chose était cassé. Comme souvent dans ces cas-là, le corps a pris le relais de cette souffrance enfouie trop longtemps, m’obligeant à prendre la chose au sérieux.

De l’hésitation à l’évidence : quand on n’a plus d’autre choix que de quitter son travail

Vous êtes finalement partie de votre entreprise, mais j'imagine que cela a été une décision difficile, qu'est-ce qui vous a décidé à prendre votre envol ?

J’avais déjà démissionné deux fois mais, cette fois, je sortais d’une séparation douloureuse, fortement endettée, avec trois enfants à charge et une envie de création d’entreprise. A vrai dire, le monde extérieur me faisait peur car j’étais consciente des énormes avantages du salariat et du risque important que constituait la création d’une entreprise, si petite soit-elle.

J’ai ruminé longtemps sur l’injustice du monde. Si les grandes entreprises peuvent faire le choix de conserver volontairement des salariés non motivés et non productifs avec des rémunérations parfois substantielles, je savais que l’aventure entrepreneuriale ne dépendait pas uniquement de soi.

J’ai passé quelques mois à peser le pour et le contre, à lire des témoignages, à travailler intensément sur des projets potentiels. Et puis mon corps a craqué, à sa manière il a très clairement exprimé son incapacité à continuer à vivre dans l’entreprise. Il fallait que je quitte ce travail.

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Je me souviens d’un moment précis. Le personnage de Bill Muray dans le film « Un jour sans fin » se réveille un matin de plus à la même heure au son de la même voix du même présentateur radio faisant état de la même actualité. Je suis un Bill Muray le jour de la Marmotte, un hamster imitant Speedy Gonzales courant dans sa roue accrochée à sa cage. En un mot je comprends que si je voulais me faire mal aux yeux en approchant du soleil, je suis devenue l’ombre de mes rêves.

C’est en ces termes que je me suis confiée le lendemain même à la DRH de mon entreprise. Si j’avais hésité pendant des années sur la voie à prendre, j’ai senti très précisément à cet instant que j’avais basculé et que cette fois je n’avais plus le choix.

C’était là. Extrêmement fort.

J’ai dit les choses, avec simplicité, avec une transparence absolue. J’ai dit « merci pour cette page de vie », un truc du style « quand je n’ai plus la foi, je ne suis plus en vie » et « redonnez-moi ma liberté ». A chaque fois que j’ai parlé, j’ai touché mes interlocuteurs. J’ai alors compris que je n’étais pas seule, que mes mots résonnaient profondément chez beaucoup de mes collègues. La seule différence entre eux et moi résidait dans le chemin que j’avais parcouru pendant des années pour me donner le droit d’être libre et de quitter ce job.

Quitter son travail, oui mais pas n’importe comment

Quand vous avez décidé de partir, vous avez choisi de le faire de façon "propre". Vous vouliez réussir votre départ et partir en bons termes. En quoi était-ce important ?

C’est exact. Mon départ de l’entreprise venait clore un cycle et devait naturellement en ouvrir un autre.

Je ne faisais pas que quitter mon job, je faisais le choix d’une vie nouvelle, d’une vie dans laquelle mon job avait rendez-vous avec moi (et non avec mon CV bien fourni et ma lettre de motivation remaniés mille fois). Et ce moi avait besoin d’être profondément cohérent, aligné avec ce qui m’avait tant fait souffrir et ce qui demandait à être réparé.

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C’est pourquoi, « partir bien » est très vite et très naturellement devenu mon premier objectif. J’avais cette intime conviction selon laquelle le moment était là parce que j’étais enfin prête à quitter mon travail dans de bonnes conditions. Avec justesse, dignité, authenticité, avec envie, avec gratitude. J’ai compris à quel point cette posture m’importait.

Moi qui avais perdu le sens de mon travail, j’avais besoin de prendre l’initiative d’en mettre dans mon départ.

Sortir de l’émotion le temps d’une négociation de départ

C'est difficile pour quelqu'un qui souffre dans son travail de mettre de côté sa colère, sa rancœur, sa frustration, sa peur voire sa culpabilité, pour passer en mode "négociation", comment avez-vous réussi ce tour de force ?

Vous avez raison, j’avais toutes les raisons d’être en colère et de partir en mauvais termes.

J’avais un dossier suffisamment solide pour engager un bras de fer et exiger que me soit versée en réparation du préjudice subi une somme de plusieurs centaines de milliers d’euros. Étant donné mes fonctions (avocate et responsable d’un réseau d’avocats sur le plan national), je n’avais aucune appréhension à y songer sérieusement.

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Mais j’avais acquis assez de lucidité pour savoir que ma vraie victoire n’avait que peu à voir avec une somme d’argent, si importante soit elle. En faisant ce choix, j’économisais de l’énergie, du temps, de la rancœur stérile qui appartenait au passé, je m’installais dans l’action, non dans la réaction et me positionnais positivement dans l’avenir.

Attention, je ne dis pas que la voie contentieuse ne mérite pas parfois d’être envisagée fermement. Je dis juste qu’il existe de réelles motivations d’ordre psychologique qui militent pour conserver de saines relations avec son entreprise au moment du départ. Mais également, rappelons-le, des raisons d’ordre économique et professionnel ! Ce sont d’ailleurs ces dernières raisons qui sont les plus souvent invoquées pour quitter son entreprise en bons termes ; conserver des liens avec ses collègues, son réseau professionnel, avec sa hiérarchie, tous autant qu’ils sont s’avèrent être autant de prescripteurs ou de relais potentiels pour sa future activité.

Quitter son travail pour mieux rebondir

Aujourd'hui, tout ça est derrière vous, quel souvenir en gardez-vous ?

De cette droiture, de cette hauteur de vue, j’avais un énorme besoin. En quittant ce travail, je reprenais la main sur mon destin et n’avais pas l’intention de laisser quiconque s’en charger.

Je voulais décider de la trace qui resterait après moi. En m’exprimant ainsi, j’ai conscience que je parle comme un mourant qui prépare son départ vers l’au-delà, soigne l’image qu’il laissera après sa mort… pour partir bien, là aussi.

Lorsqu’on quitte une communauté de travail avec laquelle on a vécu pendant plusieurs années, je pense et suis loin d’être seule à le penser, qu’un travail de deuil est à l’œuvre. Et ce, d’autant plus pour des salariés très investis qui ont vraiment mis de leur personne dans la mission qui leur était assignée.

Ce faisant, j’en suis sortie vraiment grandie.

Depuis lors, j’ai effectué de nombreuses recherches, interviewé et rencontré beaucoup de personnes qui ont vécu la même chose que moi, des psy et des médecins qui ont recueilli dans leur cabinet des salariés en « crise de sens » . Si toutes ont retrouvé une activité, peu d’entre elles ont bien rebondi. J’ai donc approfondi mes investigations pour en comprendre les raisons et j’ai pu vérifier que dans 100% des cas, la qualité de leur nouvelle vie professionnelle était intimement liée à leur posture et aux conditions dans lesquelles la négociation de leur départ avait été menée.

Forte de ce constat j’ai monté ma société pour accompagner des salariés qui ont connu un burn/bore/brown out, afin qu’ils en comprennent les ressorts, les aider à bien négocier leur rupture conventionnelle et les accompagner dans le projet qui leur ressemble et qui fait sens pour eux… enfin.

Ce que je sais, ce que j’ai expérimenté intimement et que je suis en capacité de transmettre, c’est que s’il y a autant d’histoires personnelles que de ruptures conventionnelles, il n’y a qu’une seule « méthode » pour bien partir et bien rebondir.

Bien s’entourer pour quitter son travaille plus sereinement possible

Si vous aviez un message qui vous tient particulièrement à cœur à adresser à nos lecteurs, lequel serait-il ?

Le brown out (et toutes les pathologies répertoriées en « B out ») sont des moments souvent extrêmement violents à vivre. Le voile pudique soigneusement posé sur une souffrance latente, cachée, lancinante explose et s’expose aux yeux de tous. Quelque chose a lâché, quelque chose a craqué, s’est fissuré qui demande à être entendu et réparé.

C’est au moment où l’on est finalement le plus fragile, parfois complètement perdu, sur un mode excessivement réactionnel que l’on devrait être le plus armé, le plus en possession de ses moyens, le plus clair avec soi-même. L’arrêt de travail souvent nécessaire vient renforcer encore un sentiment de solitude, une estime de soi durement entamée et un retour en arrière compliqué.

A quel moment et à qui se confier ? Comment organiser son départ ? Comment être bien accueilli(e) dans sa demande de rupture conventionnelle ? A quel niveau d’indemnisation peut-on prétendre ? Toutes ces questions légitimes, excessivement importantes méritent qu’on puisse y répondre avec tout le sérieux et le calme nécessaire.

Travailler sa posture, son message, sa renaissance future exigent une forme de retour à soi, de sérénité incompatibles avec un environnement non sécure, voire hostile. Ma conclusion est donc celle-ci : un B…. OUT professionnel est une chance inouïe si l’on sait bien le gérer. Et pour mettre toutes les chances de votre côté, prenez de la hauteur et faites-vous accompagner !

Merci Violaine pour ce témoignage riche, qui, à mon avis, saura faire réagir nos lecteurs sur le point de quitter leur travail. ;°) Je vous souhaite une belle réussite dans cette nouvelle étape de votre vie professionnelle.

Et à vous tous, merci de votre intérêt et à bientôt sur CapCo.

Annabelle pour Cap Cohérence