Se réaliser est devenu un enjeu central dans la vie de beaucoup de gens. On parle de réaliser son potentiel, de trouver sa voie, de prendre sa juste place, de s’inscrire dans son projet de vie, sa mission…On met plein de jolis mots autour de ce concept, mais il me semble qu’on manque de concret.
Pour moi, se réaliser, c’est d’abord une expérience, un vécu. Et même si on peut évaluer notre niveau de réalisation personnelle à partir d’un sentiment intérieur, je crois que ce sentiment évolue dans le temps, au grès de nos découvertes et de notre développement. Pour illustrer ce point, j’ai eu envie d’interviewer Céline Faugère qui raconte particulièrement bien les différentes étapes par lesquelles on peut passer tout en ayant le sentiment de se réaliser encore et toujours plus. Voici son histoire…
Se réaliser en s’adaptant à ce qui nous est donné
Je crois Céline, qu’à l'époque où tu as démarré tes études l'idée de "se réaliser" ne faisait pas partie des critères de choix, peux-tu nous raconter comment tu as choisi tes études et ton premier poste?
Oui, comme beaucoup, à défaut de savoir ce que je voulais faire comme métier, j'ai suivi les voies les plus généralistes: bac S, prépa, école de commerce. Et à la sortie des études, j’ai rapidement décroché un poste en banque. Le critère d’évaluation à la sortie d’école n’était pas tant « Est-ce le job dans lequel tu vas te réaliser ? » que le salaire à viser compte-tenu de la renommée de l’école. Ceci dit, je ne m’en plains pas car être confortable financièrement m’a permis de me poser plus sereinement la question d’une reconversion. Ainsi, j’ai eu un parcours professionnel plutôt réussi si on le mesure à mon salaire.
Pourtant, je me suis souvent demandé si j’aimais ce que je faisais, et cela m'a amenée à changer complètement de direction, d'un poste à l'autre, pour découvrir de nouveaux horizons. L'avantage d'être dans un grand groupe !
Pour autant, je ne dirais pas que je ne me suis pas réalisée, car j’ai aimé chacune de ces étapes pour ce qu’elles m’ont apporté. Je pense que mes aspirations ont évolué au fil du temps. D’une part en devenant manageur, frustrée de ne pouvoir gérer mes équipes selon mes valeurs et d’être obligée de rester dans le moule; d’autre part en devenant mère, tiraillée entre mon envie de m’occuper de mes enfants et mon envie de bosser ; et enfin en prenant conscience des enjeux climatiques.
Ce que je trouve marquant dans ton parcours c'est qu'au départ, tu semblais avoir trouvé un moyen de trouver ton compte dans une grande entreprise malgré l'écart avec tes aspirations profondes. Et j'ai le sentiment que les retours que tu as pu avoir sur ton parcours dans l'entreprise ont accentué le décalage et amplifié la question de la réalisation de toi, peux-tu nous expliquer comment tu as vécu ça ?
Oui, personnellement, je voyais mes changements de poste comme une richesse d'adaptation et un enrichissement à apporter à mes nouveaux collègues de par mes expériences précédentes, avec le plaisir de confronter nos idées pour toujours s’améliorer et s’adapter à un contexte mouvant. Pourtant, l’image qui m'était renvoyée était plutôt celle de l'imposteur, n'ayant pas suivi une ligne droite.
Plusieurs fois je me suis dit que j'allais partir, mais j'ai toujours été rattrapée par les RH qui me proposaient, au bon timing, un nouveau poste. Je prenais les postes que l'on me proposait, ces derniers m'étant présentés comme une valorisation puisque je montais les échelons de l'entreprise, sans n'avoir jamais eu l'occasion de dire quel poste j'aurais aimé ! En parallèle, j'étais toujours en quête de L'idée avec un grand L, celle qui me permettrait de me réaliser. J'ai plusieurs fois tenté sur le papier, sans aller jusqu'à la concrétisation.
Refuser ce qui nous empêche de nous réaliser
Sur Cap Cohérence, dans l'idée de se réaliser, nous parlons beaucoup de vivre en accord avec nos valeurs. Et dans les témoignages que l'on reçoit, c'est souvent un décalage entre les valeurs de la personne et ce qu'elle perçoit de son quotidien professionnel qui crée une forme de déclic vers le changement. Il me semble que c'est aussi ce qui s'est produit pour toi…
J’arrivais à peu près à contenir ma frustration jusqu'à mon dernier poste qui, sur le papier me plaisait, mais pas dans la pratique. Je vivais un mal être grandissant, mesurant l'écart entre mes valeurs et leur (non)-application quotidienne.
Je faisais de longues heures en voiture, tiraillée par ce sentiment de stérilité à perdre un temps si précieux. Et en prime, à force d’écouter les informations sur les dérèglements climatiques, mon éco-anxiété s’amplifiait !
Par ailleurs, ces trajets me menaient vers des formations que j’animais à partir de messages perçus comme descendants. Malgré mes efforts, ça ne passait pas, ce qui rendaient ces déplacements encore plus injustifiés! J’étais loin de me réaliser mais je faisais tout pour changer les choses !! Cependant, mes propositions étaient balayées par la hiérarchie qui pilotait l'activité par des objectifs commerciaux et non globaux (ex : on ne comptabilise pas les frais d'essence et d'hôtels). Nous n’arrivions plus à arrêter le temps pour réfléchir en profondeur.
J'étais frustrée par ce déni de mes manageurs, par le manque de soutien de mes collègues, alors qu'individuellement, beaucoup se sentaient concernés et convaincus que de petits gestes pouvaient être introduits dans l'entreprise pour être plus en adéquation avec nos valeurs. Ce qui me révoltait c’est que beaucoup agissaient différemment chez eux.
Pourquoi, du fait d’être en groupe et en entreprise, les choses perdaient leur sens ?
Ainsi, je passais toujours pour la rebelle de service. En parallèle, je notais que des consultants extérieurs étaient plus entendus ! Cela a été le déclic. Je me suis dit qu'il était temps de quitter l'entreprise pour porter les messages depuis l'extérieur afin qu'ils soient mieux entendus.
Se réaliser en devenant pleinement responsable de ses choix
Se réaliser, c'est réaliser ce qui se passe à l'intérieur de soi, donner vie à ce qu'on vit, transformer ses projections en action. Qu'as-tu donc mis en œuvre après ce déclic pour transformer ce qui te tenait à cœur en réalité ?
Nous avons créé, avec ma soeur, Les Jardins du Clos, pour démontrer qu'un espace professionnel peut être éco-responsable, sans altérer l'esprit, bien au contraire. Nous voulions créer un lieu mêlant simplicité, convivialité et efficacité pour revenir à l’essentiel : si on se réunit, c’est pour partager du temps ensemble et construire quelque chose de façon efficace, qui convienne à l’intégralité du groupe.
Il s'agissait de casser l'idée selon laquelle « l'écologie, c'est pour les hippies ». Nous proposons un lieu qui se veut chic mais simple. Les Jardins du Clos sont implantés dans un bâtiment magnifique en pierres dorées, avec une vue sans fin sur le Beaujolais et jusqu'aux Alpes.
Ce que d'aucun aurait vu comme une contrainte: être à la campagne, nous en faisons un atout. Revenir aux essentiels: travailler sous un cerisier avec son équipe pour imaginer le produit de demain, c'est tout de même plus inspirant! C’est aussi pour nous, une façon de participer à la décentralisation.
Les Jardins du Clos se veulent également un lieu de débat et de pratiques autour des méthodes de communication et de management. En soi, un laboratoire de l’intelligence collective. Nous mettons ainsi à profit ce qui nous a plu dans nos expériences, ma sœur et moi, à savoir accompagner des groupes pour faire émerger des idées et fonctionner ensemble. Une façon de nous réaliser collectivement !
Réviser son histoire, modifier le sens, pour accroître le sentiment de réalisation de soi
Se réaliser, d'après le dictionnaire, c'est "devenir ce que l'on rêve de devenir". Alors, dis-nous, en quoi les changements que tu as réalisés t'ont-ils permis de devenir ce que tu rêvais de devenir ?
Je me suis rendue compte que mon parcours atypique, sans linéarité dans mes postes était finalement un atout car j'avais beaucoup de cordes à mon arc, qui, dans le monde de l’entrepreneuriat, sont perçues comme de la créativité. C’est tout de suite plus valorisant ! Et puis cela m’a permis de me réaliser sur différents plans en donnant vie à toutes ces facettes de moi :
Le besoin de travailler avec mes mains et de prendre l’air !
Nous avons essentiellement réalisé les travaux nous-mêmes avec l’aide de nos parents. Ces 9 mois de travaux ont été une vraie bouffée d’oxygène. Pour moi qui ne connaissais que la vie de bureau, se réaliser manuellement a été un vrai plaisir. Surtout quand les gens ne tarissent pas d’éloges sur le produit final. Je réalise maintenant que j’ai besoin d’au moins un ou deux jours de travail manuel dans la semaine et d’être au grand air. Cela tombe bien, les Jardins du Clos sont nichés au cœur d’une exploitation agricole !
Le besoin de connexion avec mes proches
Passer ces moments en famille a été ressourçant. C’est une vraie richesse que de s’accorder du temps avec des gens qui comptent pour nous.
Le besoin d’incarner mes valeurs écoresponsables
Dans notre démarche d’éco-responsabilité, il nous semblait évident que le mobilier soit 100% chiné et up-cyclé. Nous avons pu donner du sens à notre démarche en travaillant avec des entreprises de réinsertion et en restaurant des meubles.
Le besoin d’être en contact avec des personnes que je choisis
Il y a également tout le volet humain associé au projet. Je trouve très rafraîchissant de côtoyer d'autres profils que ceux de mes précédents collègues. J’ai côtoyé de plus près des artisans avec une admiration réciproque, moi pour leur savoir-faire, eux un peu impressionnés que l’on mette autant la main à la pâte. Aujourd'hui je choisis avec qui je veux travailler. Chaque rencontre est un engouement, une volonté de travailler avec la personne. C'est dynamisant !
Le besoin de convivialité !
Aux Jardins du Clos, nous attachons un soin particulier aux petites attentions, celles qui vont faire sourire les participants et transformer leur journée en une expérience agréable et différentes des autres séminaires, comme par exemple les dragées de la région proposés au moment du café, ou les biscuits produits localement. C’est agréable de faire plaisir !
Se réaliser par l’action, maintenant et toujours !
Enfin, si tu avais un message à adresser aux personnes qui voudraient se réaliser professionnellement, qu'aimerais-tu leur dire ?
J’ai le sentiment d’avoir façonné ce nouveau projet à mon image, et en un sens, de m’y réaliser, mais cela ne s’est pas fait en une fois. Cela s’est fait par itérations, ce qui suppose d’accepter que la première idée ne soit pas celle qui nous convient, même si elle est très séduisante. Pour ma part, cela a mis plusieurs années.
Il faut également savoir s’entourer. J’ai été accompagnée, par des coachs, mais aussi par mon entourage qui me challengeait. Il faut confronter ses idées au monde et, au contraire de ce que j’entends trop souvent, ne pas avoir peur d’en parler. En parler est la meilleure façon de tester son idée. Qui plus est, il arrive d’avoir d’agréables surprises, un complément d’idée, un soutien, une recommandation qui ouvre des portes. A un moment donné, il y a eu un alignement de comètes, c’est le moment de se lancer et foncer sans hésiter !
Quelle que soit la façon dont vous voulez vous y prendre pour vous réaliser, au travail et ailleurs, je crois qu’il est important de s’entourer de personnes qui sont dans la même dynamique que vous, afin d’avoir des points de repères et d’échanger pour tenir la distance !
Merci Céline pour ton témoignage qui montre bien comment notre quotidien professionnel peut tantôt nous éloigner de ce que nous sommes, tantôt nous en rapprocher.
Pour ma part, je vois le fait de se réaliser comme une aventure dans laquelle le « héro » est en quête d’un trésor intérieur auquel il accède par un double mouvement : de l’intérieur vers l’extérieur et de l’extérieur vers l’intérieur. Et en posant cette image, je me dis qu’il y aurait surement une métaphore à filer sous forme de chasse aux trésors aux Jardins du Clos !! Affaire à suivre…
A vous lecteur, nous souhaitons une vie riche en rebondissements, à chaque bond un peu plus proche de vous-même !
Au plaisir de vous accompagner dans votre réalisation.
Annabelle pour CapCohérence