J’ai récemment eu la chance et le plaisir d’interviewer Karim Duval, un jeune humoriste franco-sino-marocain suite à son spectacle « Melting Pot », lors d’un passage à Lyon.

Oui je sais, c’est assez rare que je vous raconte mes week-ends et mes rencontres sur le site Cap Cohérence, mais Karim présente un parcours assez extraordinaire, à tous les sens du terme, que je souhaitais partager avec vous. En effet, avant de devenir une étoile montante de l’humour, Karim était… ingénieur en informatique ! Sacré changement de vie que je vous laisse apprécier dans cet article hors du commun !

Karim Duval: de l'école Centrale au Festival d'Avignon !


Charly : Alors Karim, dis-nous en plus, quel a été ton parcours exactement ?

Karim : Je suis né d’une mère chinoise et d’un père franco-marocain. J’ai grandi pendant 18 ans à Fez, au Maroc, où j’ai étudié dans un lycée français. J’étais plutôt bon élève, donc comme beaucoup de bons élèves, j’ai suivi la voie dite « royale » : classes préparatoires à Paris, puis j’ai intégré une Grande École d’Ingénieurs, Centrale Paris. Ensuite, j’ai travaillé quelques années dans le Sud de la France en tant qu’ingénieur en informatique et mathématiques appliquées. Je n’ai jamais vraiment choisi de devenir ingénieur, j’ai suivi une route toute tracée. Je me suis lancé dans le stand-up et le one-man show sur mon temps libre, en tant qu’amateur. Et j’ai vite compris que « one man show au niveau amateur » ne voulait rien dire ; on est forcément professionnel : très rapidement on joue devant des personnes que l’on ne connaît pas et qui ont payé leur place, et puis on est vite repéré par des gens du métier. Du coup, je travaillais mon spectacle le soir et le week-end, jusqu’à ce que je sois suffisamment prêt pour en faire mon boulot principal, ce qui est le cas aujourd’hui !

Charly : comme quoi, comme on dit, Centrale, ça mène à tout ! Quel a été le déclic pour toi ? Comment as-tu su que cette passion que tu vivais en tant qu’amateur devait se transformer en activité professionnelle principale ? En bref, comment as-tu su que tu devais sauter le pas ?

Karim : Quand les plaisirs ont commencé à s’annuler plutôt qu’à se cumuler. Ce que je veux dire, c’est qu’au début, je prenais autant de plaisir dans mon job que dans mon activité de comédien amateur. J’avais trouvé un bon équilibre, qui a duré 3 ans. Puis à un moment donné, cet équilibre s’est rompu. Je m’en suis rendu compte via une anecdote que j’aime bien raconter : dans mon boulot, je travaillais principalement pour des compagnies aériennes, et à cette époque, je ne sais pas pourquoi, tous nos clients étaient des compagnies basées dans des îles paradisiaques. Nous étions donc souvent en déplacement dans ces îles magnifiques, dans des hôtels luxueux. Je me rappelle qu’un jour, je devais jouer dans un festival perdu au fin fond de l’Ardèche. Un voyage d’affaire à l’île Maurice était également à prévoir dans cette période, et je priais pour que ce voyage, qui ferait rêver beaucoup de monde, ne tombe pas au moment de mon festival. Et quand tu te dis que préfères passer un week-end dans un trou perdu de l’Ardèche plutôt que sur une plage paradisiaque de l’île Maurice, c’est que la passion a pris le dessus et qu’il est temps d’en faire quelque chose !

C’est une anecdote marquante, mais par la suite, la transition s’est faite tout en douceur. Tu vois quand même les choses venir de loin. Je n’ai pas connu de burn out ou de gros craquage. J’aimais même beaucoup mon boulot d’ingénieur, où j’avais la chance d’être considéré et entouré de gens compétents et compréhensifs. J’ai basculé au moment où j’étais prêt à basculer.

Karim/Rimka, Gainsbourg/Gainsbarre, où comment écouter ses tripes !


Charly : Tiens je suis étonné que tu me parles d’une transition douce ! En effet, dans ton spectacle, tu évoques un peu ce changement de vie, et pour parler de ce fameux déclic, tu fais intervenir un de tes personnages, Rimka, qui t’interpelle de façon plus brutale !

Karim : oui, j’aime bien ce personnage RimKa, qui vient de la banlieue de moi-même, comme je dis dans le spectacle. J’aime bien cette dualité Karim/Rimka, c’est un peu comme Gainsbourg et Gainsbarre, ou Renaud et Renard. C’est vrai que dans le spectacle, je le croise un matin dans mon miroir en allant au boulot, et qu’il m’interpelle de façon assez « choc » en me demandant d’arrêter de « perdre ma vie à la gagner », en me demandant où est le piment ? Il se moque de mon diplôme en me demandant où est l’exploit dans tout ça ! Et il me rappelle que quand je rentre du théâtre je vibre à fond, que je dois aller jusqu’au bout de ma démarche !

Mais même si il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il dit, je n’ai pas vécu un tel électrochoc, cela ne s’est pas exactement passé comme ça, tout en douceur comme je te disais !

Après, c’est vrai que le « trop de confort » me dérangeait, je voyais un côté trop « facile » à cette vie de jeune cadre dynamique, presque non méritée. Comme si les efforts se résumaient à réussir des concours et obtenir un diplôme. J’avais envie de quelque chose où je pouvais démarrer de rien et tout construire, tout conquérir par moi-même, ce qui est absolument le cas dans le métier d’humoriste !

Charly : et bien même si tu atténues cette transition en disant qu’elle s’est faite en douceur, bravo pour ce changement de vie ! Tu as eu du courage et beaucoup de personnes n’auraient pas osé faire un tel choix, même si elles en meurent d’envie !

Karim : merci ! Mais finalement, il faut se dire que quand on change de vie, on ne change pas de vie ! Tout est continuité et on ne change pas du tout au tout, on reste le même et au pire, on peut revenir en arrière. Je suis par exemple aujourd’hui persuadé que si je devais revenir dans mon ancien job, je pourrais presque mettre à profit mon expérience récente et (allez, soyons fous !) être meilleur qu’avant ! Alors vu que rien n’est irréversible, pourquoi ne pas oser ? Et quand bien même : il faut se faire confiance !

Apprendre à utiliser de façon positive son temps libre


Charly : je suis tout à fait en phase avec toi, on parle de changement de vie, mais finalement, on ne fait que cheminer, tout en continuité ! En parlant de ce qui fait peur aux aspirants à la reconversion professionnelle, j’aimerais aborder la question des finances. Comment as-tu quitté ton ancien job ? Comment as-tu financé ton changement de vie ?

Karim : De mon côté, j’ai eu la chance de pouvoir assurer mes arrières en anticipant. Et cela m’a permis d’assumer complètement mon choix. Après, je dois dire que je ne partais pas de zéro non plus : on peut faire énormément de choses en travaillant ! Il faut utiliser de façon positive son temps libre ! J’ai construit mon spectacle le soir, je le jouais le week-end et pendant mes congés. Quand j’ai quitté mon poste, j’avais déjà une activité, un manager, des dates prévues, un peu de réseau. Aujourd’hui, je suis donc intermittent du spectacle : « bienvenue dans la précarité »! Je plaisante !

De toute façon, je me suis rendu compte que gagner beaucoup d’argent a aussi un coût ! Tu t’habitues à dépenser plus, parfois au point de ne plus savourer les choses, de les trouver banales. Par exemple, j’allais au restaurant très souvent, un peu par habitude, par effet de masse avec les collègues ; je n’y prenais presque plus de plaisir ! Il faut donc raisonner en termes de bilan : aujourd’hui je gagne peut-être moins, mais je n’ai absolument pas la sensation d’avoir diminué mon niveau de vie… et mesure mieux la valeur des choses !

Déjà, quand tu t’habitues à un certain niveau de vie, tu fais tout pour le garder. Et puis bien gagner ra vie te rend solvable, donc proie des banques qui veulent te prêter de l’argent et t’inciter à faire des choix… pas très judicieux. Par exemple, un conseil que je peux donner à tous tes lecteurs : « n’achetez pas d’appartement ! » C’est une arnaque sans nom, où les bonnes affaires sont chose rare ! Cela n’est pas du tout rentable, moi j’ai même perdu de l’argent car mon bien a été dévalué, et finalement, quand tu dois rembourser ton prêt, ton pouvoir d’achat est réduit quasiment à celui d’intermittent ! La boucle est bouclée ! Aujourd’hui, la banque ne propose pas de prêts au saltimbanque que je suis! Je ne suis pas endetté, et c’est tant mieux !

Charly : nous sommes complètement en phase ! Plus généralement, je pense que nos choix de vie et notre épanouissement personnel ne devraient dépendre que de nous, pas d’une tierce personne, du bon vouloir d’un organisme financeur ou que sais-je ! Et du coup, aujourd’hui, tu sembles bien dans ton projet. Si c’était à refaire, tu le referais ?

Karim : oui, je pense… je ne sais même pas si la question a un sens en fait ! C’était à faire, un point c’est tout !

Charly : belle conclusion, merci Karim pour cette interview !

La belle reconversion de Karim Duval: l'ingénieur devenu humoriste !


Je rappelle qu’on peut te voir dans ton spectacle « Melting Pot », sincèrement excellent au passage, tous les mardis soir au théâtre « Les Feux de la Rampe » à Paris, puis un petit peu partout en France, ainsi qu’au festival d’Avignon Off en juillet 2014.

Toutes tes dates sont à retrouver sur ton site web ici : http://www.karimduval.com/

Et pour vous internautes, un petit avant-goût de ce spectacle avec le teaser suivant !